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Discours - Audition de Robert Ophèle, président de l'AMF, par la Commission des finances du Sénat sur le Rapport annuel 2021 - Mercredi 6 juillet 2022

Discours - Audition de Robert Ophèle, président de l'AMF, par la Commission des finances du Sénat sur le Rapport annuel 2021 - Mercredi 6 juillet 2022

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président,

Monsieur le Rapporteur général,

Mesdames et Messieurs les Sénatrices et Sénateurs,

Je vous remercie de consacrer du temps à l’AMF lors de cette journée chargée pour la représentation nationale. Cette audition, qui coïncide avec la fin de mon mandat à la tête de l’Autorité, est l’occasion de rendre compte de l’activité de l’AMF au cours de l’an passé et de ces derniers mois, mais également de faire un rapide bilan de ces cinq années et d’évoquer les défis actuels.

Il y a 5 ans, lorsque votre Commission m’avait fait l’honneur de soutenir ma nomination au poste de Président de l’AMF, j’avais fixé quelques priorités pour mon mandat mais indiqué, qu’en tout état de cause, le système financier serait, en 2022, très différent de celui que nous connaissions à l’époque.

Les missions de l’Autorité sont fixées par la loi mais je pense qu’on peut les résumer en deux idées : protection de l’épargne et des investisseurs, financement de l’économie par les marchés.

Dans ce cadre, j’avais quatre priorités complémentaires :

  • l’intégration européenne car le bassin européen d’épargne est sans pareil mais il est fragmenté et mal utilisé ; l’Union des marchés de capitaux ne doit pas rester un concept vague attirant un soutien général et hypocrite mais doit s’incarner dans des projets concrets au bénéfice des épargnants, des entreprises et des intermédiaires financiers ;
  • la finance durable ensuite car le financement de la transition vers une économie plus respectueuse de notre environnement et en particulier compatible avec l’accord de Paris sur les objectifs de limitation du réchauffement climatique est le défi de notre temps et si la finance ne fait pas partie des solutions alors elle fait partie du problème et ses régulateurs avec ;
  • la digitalisation de la finance car il est souhaitable que le régulateur anticipe cette évolution inévitable et l’accompagne pour qu’elle soit facteur d’amélioration et de réduction des coûts des services financiers ;
  • la transformation de l’AMF enfin, rendue incontournable en raison de l’évolution de notre environnement, des nouvelles expertises que nous devons développer pour accomplir nos missions conformément aux orientations stratégiques retenues et pour optimiser l’utilisation de ressources financières très contraintes.

Rien de tout cela n’est vraiment achevé. Mais ces priorités, j’y reviendrai, nous ont guidés au cours de ces cinq années, où nous avons subi trois chocs majeurs : le Brexit, la pandémie et l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Je serai bref sur les deux premiers puisque nous avons eu l’occasion de les évoquer en détail lors d’auditions précédentes et un peu plus long sur le dernier qui n’est, à l’évidence, ni achevé ni totalement surmonté.

Si le référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne était déjà intervenu en juillet 2017, la sortie date juridiquement du 31 janvier 2020 et, compte tenu de la période de transition, elle n’a été effective qu’au 1er janvier 2021. Le Royaume-Uni est donc devenu pays tiers et il a fallu en tirer toutes les conséquences tant au point de vue réglementaire qu’opérationnel. En l’absence de décisions d’équivalence de la Commission européenne en dehors de celle, temporaire, qui couvre les chambres de compensation, les établissements qui opéraient dans l’Union à partir du Royaume-Uni ont dû localiser leur activité dans l’Union ; beaucoup l’ont fait à Paris, notamment dans les opérations de marché. Mais nous ne sommes pas au bout du processus ; les réglementations évoluent dans les deux juridictions et, à l’intérieur de l’Union, la localisation des effectifs n’est pas définitive.

En mars 2020, la pandémie et le confinement qui l’a accompagnée n’étaient absolument pas anticipés ; le blocage de larges pans de nos économies et les incertitudes sur l’ampleur et la durée de la crise se sont traduits par une recherche massive de liquidités et une chute historique des valorisations. Cela a notamment mis en évidence les fragilités des fonds ouverts et en particulier des fonds monétaires en période de crise intense ; nous travaillons, tant au niveau international que national, au renforcement de leur capacité à passer ses crises sans soutien public. Le confinement a également conduit à revisiter l’exercice de la démocratie actionnariale en Assemblée Générale, toutes les leçons, notamment pour la tenue d’assemblée en mode hybride, le dépôt des résolutions, le vote à distance n’ont sans doute pas encore été tirées. Nous l’avons évoqué dans nos rapports annuels sur la gouvernance des sociétés cotées et je vous renvoie également au rapport du Haut Comité Juridique de Place qui vient d’être rendu public.

J’en viens à la crise russe.

2021 avait été, à l’évidence, une année d’exubérance sur les marchés financiers. Dans un environnement de forte reprise économique alimentant des pressions inflationnistes jugées alors comme transitoires par les banques centrales qui maintenaient donc des politiques monétaires très accommodantes, les valorisations de la plupart des actifs ont fortement progressé et l’ensemble des marchés ont été très actifs avec en particulier un nombre exceptionnellement élevé d’introductions en bourse. Il serait bien trop facile de qualifier rétroactivement cette exubérance d’irrationnelle puisque c’est bien un phénomène totalement extérieur, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui a marqué la fin de cette période exceptionnellement favorable et qui a déclenché un changement profond de paradigme : l’environnement d’inflation basse et de taux d’intérêt négatif est révolu, le monde se fragmente et cela affecte de façon très différente les différentes économies nationales et les différents secteurs économiques.

Le premier signal de ce changement de paradigme a été envoyé par les marchés de matières premières.

Le bon fonctionnement de ces marchés de matières premières constitue une responsabilité importante de l’AMF.  Les prix des matières premières se forment non pas sur les marchés physiques au comptant mais sur les marchés dérivés avec des contrats qui permettent avant tout aux producteurs et aux transformateurs/distributeurs de limiter les aléas pesant sur les prix futurs de vente de leur production ou d’achat de leurs approvisionnements. Ce sont sur ces marchés dérivés, en principe liquides car ils permettent la rencontre d’une multitude d’acheteurs et de vendeurs, financiers ou non-financiers, que se forment les prix. Ces marchés, dans leurs différentes composante (plateformes régulées et chambres de compensations ainsi que transactions OTC) sont sous la responsabilité des superviseurs de marché. Nous avons aujourd‘hui en France un marché particulièrement sensible, le marché européen du blé avec la plateforme de négociation sur Euronext Paris (le MATIF), la compensation centrale associée sur LCH SA et l’entreposage qui permet les livraisons physiques sur 6 sites.

La guerre a eu deux conséquences immédiates : elle a généré une situation de crise sur certains marchés et s’est traduite par une généralisation de la hausse sur la quasi-totalité des produits. Cette situation de crise, a culminé au cours de la première quinzaine de mars et tout particulièrement le 7 mars.

  • le contrat TTF prompt future (TFM) passe de 200 € le MgWH à 345 € en 90 minutes sur ICE Europe à Amsterdam ; le prix était proche de 25 euros ces dernières années et il est actuellement proche de 170 euros,
  • le prix du blé sur Euronext atteint 450€ la tonne le 7 mars (270€ en février) ; le prix était proche de 200 euros ces dernières années, il est actuellement de 330 euros,
  • le nickel qui se traitait à 20 000 $ la tonne en début d’année sur le LME touche 100 000 $ ; un gros producteur chinois qui avait une importante position vendeuse sur le LME mais également OTC ne peut faire face à ses appels de marge, le marché s’arrête et les transactions du jour sont annulées ; le marché n’a ré-ouvert qu’une semaine plus tard.

Au-delà de l’impact inflationniste de ces évolutions, cela a mis en évidence un problème inédit et quasi existentiel pour ces marchés : l’ampleur des appels de marge qui accompagnent ces augmentations de prix.  Les appels de marge permettent d’assurer la robustesse des marchés mais ils peuvent être difficiles à constituer, notamment par des acteurs non-bancaires. Cela peut entraîner des défauts, un transfert des opérations des marchés compensés vers des transactions bilatérales non compensées, moins consommateurs de marges (il y a des marges de variation mais en général pas de marge initiale) mais plus risqués, ou l’abandon pur et simple des opérations de couverture. Trois évolutions potentielles désastreuses.

Le marché du blé a passé ces moments difficiles sans drame, mais ne pensons pas que la crise soit passée. Les prix ne sont pas revenus à leur niveau antérieur ; les incertitudes sur l’alimentation en gaz russe peuvent, par exemple, à tout moment aggraver la crise sur ce marché.

En tout état de cause, la communauté des superviseurs se penche sur le fonctionnement de ces marchés pour déterminer les évolutions qui permettraient d’en renforcer la robustesse.

L’environnement de faible inflation et de taux très bas est révolu.

Si les tensions inflationnistes du second semestre 2021 correspondaient à un choc de demande avec la forte reprise économique, on est désormais dans un choc d’offre qui trouve sa source dans les pénuries de matières premières suite à la guerre en Ukraine, dans les effets de la persistance des problèmes sanitaires, dans des pénuries de main d’œuvre dans certains secteurs.

La dépendance des différents secteurs et des différents pays aux matières premières dont le prix augmente fortement n’est cependant pas homogène ; de même les situations de départ et les réponses de politiques publiques sont différentes ; cela accroît les hétérogénéités et la fragmentation entre pays émergeants et pays développés ainsi que la fragmentation à l’intérieur de ces catégories de pays. Il suffit de comparer les rythmes actuels d’inflation, beaucoup plus faible en France (6,5 % pour l’IPCH) que dans le reste de la zone euro (plus de 9 % avec plus de 20 % dans les pays baltes et 10 % aux Pays-Bas). Au-delà de ces différences, la tendance à une inflation forte est irrépressible et les politiques monétaires deviennent moins accommodantes : les taux d’intérêt augmentent et les achats de titres sur le marché par les banques centrales, qui ont peu ou prou financé les déficits publics nés de la crise COVID, ainsi qu’une partie significative des besoins de financement des grandes entreprises s’arrêtent, en attendant une éventuelle décrue de leurs portefeuilles.

La capacité des acteurs économiques à transmettre sur leurs prix de vente la hausse de leurs coûts est variable comme l’est la capacité des salariés à obtenir une hausse de leur rémunération pour limiter leur perte de pouvoir d’achat. La conjonction de l’ensemble de ces facteurs fragilise la solvabilité de certains acteurs économiques et suscite des craintes sur la croissance au-delà de l’effet d’acquis engrangé en fin d’année 2021.

Dans un tel environnement, il est normal d’observer une forte baisse des valorisations et une réapparition de primes de risques différenciées, tant pour les titres de dettes que pour les actions ; on actualise des flux de résultats plus faibles avec un taux plus élevé. Les risques de défaut augmentent avec l’idée que les banques centrales n’interviendront pas comme elles l’ont fait dans le passé et que les gouvernements n’ont plus la capacité de le faire aussi massivement.

Les marchés financiers vont-ils continuer à financer l’économie ?  

Les marchés financiers ont en effet apporté une contribution très significative au financement de l’économie tant en 2020 – via le marché obligataire – qu’en 2021 – via le marché des fonds propres.

L’an passé a ainsi vu un nombre exceptionnellement élevé d’introductions en bourse, collectant plus de 4 Md€ à cette occasion alors que les entreprises déjà cotées collectaient plus de 8 Md€ ; dans le non-coté la collecte brute approchait 42 Md€.

En ce début d’année 2022, on observe une reprise du financement via l’endettement bancaire et une absence de contribution nette de l’endettement de marché dont le coût a singulièrement augmenté pour les entreprises les moins bien notées.

Pour finir, je vais revenir brièvement sur nos priorités d’origine.

La finance durable a pris son essor mais dans un cadre qui reste encore largement à préciser.

La mobilisation de la finance en faveur d’activités économiques durables est générale mais ne se met pas encore en place de manière bien structurée.

Les initiatives sont foisonnantes et les institutions financières sont très actives alors que l’information à fournir par les entreprises n’est pas encore standardisée. En particulier, la future directive CSRD, sur lequel un accord a été obtenu en trilogue, et les travaux engagés sous l’égide de la Fondation IFRS ne sont pas encore finalisés et les nombreux prestataires de services qui proposent données et notations en matière ESG/ISR ne sont pas régulés.

Le positionnement des produits d’investissement en fonction du niveau d’information demandé par le règlement SFDR sont souvent compris à tort comme étant des labels ce qui crée une confusion préjudiciable à la crédibilité du process.

Dans ce contexte, l’AMF reste résolument engagée aux cotés de la Place en faveur d’une approche exigeante que nous déclinons, dans notre doctrine, dans nos rapports et dans nos contrôles. En 2021, elle a ainsi notamment :

  • actualisé sa doctrine pour la commercialisation de fonds mettant en avant les critères extra-financiers et annoncé, dans le cadre de ses priorités de supervision 2022, des contrôles SPOT sur le respect de ces engagements ;
  • effectué avec l’ACPR-AMF une revue des engagements du secteur financier avec un focus sur les énergies fossiles ;
  • analysé les engagements de neutralité carbone repris dans les déclarations de performance extra-financière (DPEF) de sociétés cotées et présenté les enjeux de la neutralité carbone des entreprises (rapport de la Commission Climat Finance Durable) ;
  • activé la certification professionnelle finance durable avec 6 organismes certifiés ;
  • développé une communication pédagogique pour les épargnants sur la finance durable ;
  • accordé ses premiers visas sur des Sustainability-Linked Bonds ; depuis mai 2021, date de notre premier visa, 13 prospectus d’entités non financières ont ainsi été visés.

Une finance digitale qui peine à trouver le bon encadrement :

Le régime européen qui va permettre d’expérimenter « pour de vrai » des infrastructures de marché utilisant les registres distribués a été finalisé avec des projets qui pourront être agréés à partir du premier trimestre 2022.

La finalisation du cadre réglementaire européen dans lequel devront s’insérer les autres crypto-actifs (MICA) vient de faire l’objet d’un accord en trilogue. Mais il ne s’appliquera que 18 mois après son adoption définitive et sa publication au JOUE ; et une phase transitoire de 18 mois supplémentaires a été prévue pour les  régimes nationaux. Je pense nécessaire d’accélérer le processus et, s’agissant du régime français, je pense qu’il est temps se passer du simple enregistrement (nous avons désormais plus de 40 PSAN enregistrés en France) à l’agrément qui renforce l’encadrement et la sécurité des acteurs.

Mais la digitalisation va bien au-delà des crypto-actifs et des technologies de registres distribués. Elle se diffuse dans la commercialisation auprès des particuliers de tous les produits financiers sur la base fondatrice du marché unique qu’est la libre prestation de services financiers (qui ne demande pas d’établissement d’une succursale comme le prévoit le principe de libre établissement). Cela signifie que la commercialisation transfrontière des produits financiers progresse rapidement.

Or le mode de régulation de ces services transfrontières qui s’appuie quasi exclusivement sur le cadre réglementaire du pays de localisation du prestataire de services et sur son autorité de supervision locale n’est pas satisfaisant. En l’état, les autorités des pays où les services sont proposés sont quasiment aveugles, nous ne savons pas quels services sont effectivement proposés ; cela encourage les localisations dans les pays où la régulation est la plus allégée et in fine cela limite singulièrement la capacité des particuliers à faire valoir leurs droits, puisque ce sont les dispositifs de médiation et de recours du pays d’origine qui s’appliquent. Il y a là les ingrédients d’une remise en cause fondamentale de ce principe de libre prestation de services. Pour le préserver, il faut absolument renforcer le rôle de l’ESMA et celui des autorités des pays « hôtes ».

Alors que nous arrivons au terme de notre plan stratégique #Supervision 2022, la mutation de l’AMF n’est pas achevée. L’intégration de la digitalisation et l’usage généralisé des données dont nous disposons sont bien avancées mais beaucoup reste à faire.

Si la surveillance et l’analyse des marchés sont « à la frontière », le déploiement pour la gestion d’actifs est en cours, l’essentiel sera achevé dans un an, nous travaillons à l’utilisation des données au format électronique des rapports financiers qui se sont généralisées dans le cadre du règlement ESEF et nous politique de mise à disposition en « open data » de nos données avec des écrans de travail ad-hoc n’en n’est qu’à ses débuts avec les déclarations de ventes à découvert.

Dans le domaine de la cadre de la protection des consommateurs, nous travaillons à améliorer notre surveillance des réseaux sociaux afin d’assurer une détection la plus précoce possible des arnaques et des influenceurs peu scrupuleux. L’intégration de cette surveillance dans un cadre juridique solide est à l’étude.

Nos modes de travail et de management des équipes se modifient en profondeur. Nous réduisons et repensons nos surfaces de bureaux pour travailler en flex-office avec un niveau de télétravail stabilisé à au maximum la moitié du temps de travail.

Ces évolutions s’inscrivent dans le cadre d’une gestion économe des deniers publics, en fait des contributions levées auprès des assujettis, comme la comparaison avec nos homologues dans les pays voisins le montre. Mais j’attire l’attention de la Commission sur le caractère très fragile de nos équilibres financiers ; sans un renforcement régulier et significatif de nos moyens nous ne pourrons pas assurer des missions qui s’élargissent et de complexifient très régulièrement. C’est tout à fait possible puisque l’AMF est dans la situation assez paradoxale de collecter des contributions de ses assujettis qui sont en partie reversées au budget de l’Etat ; 125 millions d’euros depuis 2015.