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Réunion du Conseil Scientifique de l'AMF - 19 octobre 2021

La séance était structurée autour de deux interventions. Thierry Foucault (HEC Paris) a présenté un article portant sur l’impact des données alternatives sur la qualité des prévisions financières. La discussion était assurée par Fany Declerck (TSE). Serge Darolles (Université de Paris-Dauphine PSL), a présenté ses réflexions sur le lien entre la fourniture d’« Alternative Risk Premia products » par les banques et les stratégies mises en œuvre par les gérants de hedge funds. La discussion était assurée par Raphaëlle Bellando (Université d’Orléans).

L’impact des données alternatives sur la qualité des prévisions financières

Thierry Foucault précise que cette recherche, menée avec Olivier Dessaint (INSEAD) et Laurent Frésard (Université de Lugano), a bénéficié de financements de l’European Research Council (ERC). Son objectif est d’analyser l’impact des données alternatives (issues des médias sociaux, cartes de crédit, images satellitaires…) sur la qualité des prévisions financières. Pour les auteurs, les données alternatives permettent surtout d’améliorer les prévisions de court terme, au détriment des prévisions à long terme. En effet, le contenu informationnel des données alternatives porte essentiellement sur le court terme. De plus, l’analyste aura de lui-même tendance à concentrer ses efforts sur l’amélioration de ses prévisions à court terme pour lesquelles il dispose d’une information plus importante à moindre coût grâce à aux données alternatives et à délaisser la recherche sur le long terme, qui nécessite des efforts d’analyse plus importants (« le multitâche » a un coût). Les auteurs testent cette hypothèse sur un échantillon d’analystes sell-side américains sur la période 1983-2017. La qualité des prévisions produites par un analyste un jour donné pour un horizon h allant de un jour à 5 ans est mesuré par le R² d'une régression des bénéfices réalisés par les entreprises couvertes par l'analyste sur ses prévisions. Un R² élevé implique que les prévisions de l'analyste sont de bonne qualité.

 Une première analyse sur longue période montre une amélioration de la qualité des prévisions de court terme et à une baisse de la qualité des prévisions de long terme, parallèlement au développement des données alternatives. La « pente » de la qualité des prévisions en fonction de leur l’horizon s’est par ailleurs accentuée au fil du temps, notamment depuis 2005. Dans un second temps, les auteurs évaluent l’impact sur la qualité des prévisions des analystes de l'introduction en 2009 de StockTwits, une plateforme de réseau social sur laquelle les internautes partagent des informations et des opinions sur des entreprises individuelles, et dont les données sont communément utilisées par les analystes. Il apparaît que ces derniers ont tendance à émettre une nouvelle recommandation à la suite de publications sur StockTwits et le sens de la recommandation (positive ou négative) est corrélé à la tonalité du contenu publié sur le réseau social. Les tests confirment enfin les hypothèses des auteurs : l’exposition des analystes aux données publiées par StockTwits améliore les prévisions de court terme (inférieures à un an) et les dégrade pour les horizons plus lointains (supérieurs à 2 ans).

Les membres du conseil scientifique ont souligné l’intérêt de l’étude présentée. Ils ont relevé en particulier le fort potentiel des données alternatives en ce qu’elles permettent aux analystes de se concentrer sur des tâches à haute valeur ajoutée, mouvement également rencontré dans le monde de la gestion (« gestion augmentée »). La baisse de la qualité des prévisions de long terme a toutefois été jugée préoccupante et le caractère privilégié de certaines informations diffusées sur ces plateformes de données alternatives a été rappelé. Les effets potentiellement déstabilisants de la mise en œuvre de stratégies de saturation (data abundance) ou de comportements moutonniers induits par une uniformisation des anticipations des analystes ont fait l’objet de discussions. S’agissant des résultats, les membres du Conseil ont évoqué, au-delà du seul coût du multitâche, d’autres facteurs pouvant amener l’analyste à privilégier l’amélioration de ses prévisions de court terme : l’évolution des modes de rémunération, la modification de la composition sectorielle de la cote ou de la population des analystes au cours du temps, ou encore l’incertitude prévalant sur le long terme du fait notamment du changement climatique. À cet égard, ils ont relevé que le contenu informationnel des données extra-financières alternatives est très variable, allant du très court terme (données de controverses) au très long terme (objectifs décarbonation). Par ailleurs, l’essor de l’analyse ESG se traduit par une augmentation du nombre de données mais aussi du nombre de variables à prédire. Enfin, les discussions ont porté sur les développements possibles de l’étude : outre l’intérêt de son actualisation afin de tenir compte des importantes évolutions technologiques intervenues après 2017, la réalisation d’une étude portant sur le marché européen et l’approfondissement de l’analyse descriptive des analystes utilisant les plateformes en termes de séniorité, de composition de leur portefeuille ou de la taille des sociétés dans lesquelles ils travaillent ont été mentionnés.

Le comportement des investisseurs institutionnels face aux anomalies de marché

Serge Darolles et ses co-auteurs, Wale Dare et Marie Lambert (HEC Liège) ainsi que Guillaume Monarcha (Orion Financial Partners), cherchent à étudier empiriquement le comportement de certains investisseurs institutionnels face aux anomalies de marché. Ces travaux s’inspirent d’un article récent de Calluzo et al. (2019), qui analyse comment la publication d’articles de recherche académique traitant d’une anomalie de marché modifie le comportement des investisseurs face à cette anomalie. L’hypothèse sous-jacente est que les stratégies permettant de bénéficier de l’anomalie sont essentiellement suivies par des fonds spécialisés (hedge funds) avant la publication académique, et qu’elles sont plus largement adoptées après coup, érodant de fait leur intérêt pour les hedge funds. Pour leur part, Serge Darolles et ses co-auteurs analysent la commercialisation effective de stratégies passives permettant de tirer parti de ces anomalies. Entre 2000 et 2020, de nombreuses banques ont en effet structuré et commercialisé des indices (Bank Risk Premia, BRP) sous forme de Total Return Swaps (TRS). Ces indices, accessibles via la signature d’un contrat ISDA, ont certainement facilité l’accès à ces stratégies atypiques, préalablement uniquement suivies par des hedge funds (délégation des aspects techniques de la stratégie à la banque, liquidité du TRS supérieure à la stratégie elle-même).

Les auteurs ont collecté manuellement les informations concernant 221 indices commercialisés par 9 banques et regroupés dans 7 stratégies et étudient en quoi l’exposition de certains investisseurs institutionnels (hedge funds d’un côté, autres OPC de l’autre) à ces stratégies a été modifiée par la commercialisation d’une stratégie passive équivalente. Les rendements des hedge funds suivant une stratégie donnée sont régressés sur le rendement du marché, ainsi que sur chacun des BRP (avec un effet d’interaction permettant de distinguer le poids du BRP avant et après sa commercialisation effective). Les auteurs mettent en évidence un changement de comportement des hedge funds, qui semblent se retirer du marché (avoir réduit leur exposition à ces facteurs de risque) suite à la commercialisation de l’indice par les banques. Les résultats sont moins clairs pour les autres types d’OPC.

Les membres du conseil scientifique ont souligné l’originalité de l’approche adoptée. La nature potentiellement endogène du choc a fait l’objet de discussions, ainsi que plusieurs questions techniques, telles que la mesure de la date à prendre en compte pour capter l’émergence d’une stratégie passive commercialisable, la modalité binaire de réaction des hedge funds (rester présents sur le marché / se retirer) sans envisager de période transitoire ou encore la variabilité du R² selon la population étudiée (hedge funds vs OPC). Ils se sont notamment interrogés sur les facteurs pouvant limiter les banques dans l’exploitation des opportunités d’arbitrage avant la commercialisation de leurs indices, ainsi que sur les raisons pour lesquels l’effet est plus perceptible sur certains indices ou facteurs de risque que d’autres. Enfin, plusieurs pistes de développement ont également été évoquées, comme l’intégration de la littérature relative à l’organisation industrielle du marché de la gestion (concurrence par les coûts, liquidité, caractère actif ou non de la gestion…), la prise en compte du cycle de vie de l’innovation, de l’évolution de la demande (via les flux de souscription/rachat), ou encore du caractère variable dans le temps de l’exposition à un facteur de risque donné.